Impressions de comédiens

Dans le spectacle « Poussière » de Lars Norén, jusqu'au 16 juin, Salle Richelieu.

Martine Chevallier - H

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Les contours de nos personnages se dessinent au fur et à mesure de notre travail de répétition. Bien que soutenus et influencés par Lars Norén, nous devrons remplir les «creux» ou laisser notre instinct, «prendre corps». Ajuster nos personnages les uns par rapport aux autres, dans l’Écoute et la respiration, nerfs de la guerre de la vie.
Cependant la fin de vie est proche et nous ne voulons pas le savoir, pour certains… La colère est vivante, comme l’incompréhension et sans doute l’hébétude. Et nous voguerons, au gré des Vents troublants, «noréniens».
Ma petite bonne femme H, est d’extraction simple, peut être pauvre, à la limite du cas social. Elle a un enfant qui parle peu, et dont on a du mal à définir le sexe, en société. Elle a côtoyé la mort durant toute sa vie. Elle a une sorte d’instinct paysan. Pendant que les autres se racontent, s’expliquent et ressassent, elle parle peu. Elle est loin de toute métaphysique. L’idée de la fin, est son quotidien. Sa vie, ses idées, son comportement sont très concrets, et cependant elle a de vagues lueurs mélancoliques – mais elle est vivante – encore.
La manière dont les différents personnages se confrontent les uns aux autres rend la pièce dramatiquement drôle, ce qui peut être extrêmement désarmant pour le public, compte tenu du sujet abordé.
La vie s’ épuise, à la fois âpre, tendre, drôle, trash et implacable.
Dans ma formation auprès d’Antoine Vitez j’ai appris à aborder mes personnages non pas de façon linéaire, mais en trois dimensions. Je fais marcher ma tête en dernier.
Je prends mes rôles «à l’envers», c’est ainsi que je parviens à mettre en avant leur archétype. J’ai appris à combattre les pléonasmes malgré l’enseignement français. Il est très
intéressant d’avouer sa tristesse sur un ton joyeux car les contrastes sont très forts mais, l’avouer vraiment laissant parler son «âme», c’est beau aussi… Lars Norén, laisse aller, l’amplitude humaine de chacun par une pédagogie simple et ciselée à la fois.
Je suppose que nous serons heureux de jouer tous ensemble dans un renouvellement chaque fois contenu par la précision de la mise en scène.

Bruno Raffaelli - G

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« La mort a des rigueurs à nulle autre pareilles ; on a beaula prier, la cruelle qu’ elle est se bouche les oreilles, et nous laisse crier. » Malherbe
Le théâtre c’est regarder la mort en face. Dans Poussière on a la mort en face mais aussi autour de nous, elle rôde entre acteurs et public, elle nous regarde autant que nous la regardons. Poussière, la grande salle d’attente d’un funérarium dont il vaut mieux rire en définitive.

Anne Kessler - C

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Alain Lenglet - D

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Mon personnage est D, un pasteur, qui semble heureux de la vie qu’il a eue, la plus belle qu’il aurait pu imaginer.
Il est positif, il parle beaucoup, mais qui l’écoute ? Lui, cependant, est à l’écoute des autres. C’est son métier.
Un livre le suit depuis l’âge de treize ans : La Pesanteur et la Grâce de Simone Weil, offert à cette époque par un homme de quinze ans son aîné, qui a eu une grande emprise sur lui. S’identifie-t-il à la sainte laïque qu’ était Simone Weil ? À son ascèse, à son intransigeance. Il croit avoir perdu ce livre. Mais il continue de vouloir faire de son mieux, jusqu’à la fin.
Lars nous demande d’essayer de nous projeter, physiquement, dans un avenir où nous serons très vieux. Qu’est-ce qu’avoir un corps usé, rattrapé par sa finitude, et qu’est-ce que le jouer ? Est-il vrai qu’il n’ est de rôle que de composition ? Lars ne nous demande pas d’être dans le labeur de « produire quelque chose ». Nous nous laissons contaminer par ses questions, par les répliques de la pièce, par cette pesanteur et cette grâce.
La mort n’est ni étrangère ni inconnue, et pourtant, s’y confronter de cette façon, sur scène, au sein même de notre pratique de comédien, est perturbant. Nous cherchons.

Françoise Gillard - Marilyn

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D’une certaine manière, la mort plane dans toutes les pièces de Lars Norén, mais j’ai l’impression qu’elle prend des tonalités différentes selon l’âge auquel il les a écrites. Dans Poussière, cette tonalité est, paradoxalement, très douce, sans doute parce que la violence du propos – la vieillesse et l’inéluctabilité de la mort – y est absolument centrale. Il n’est pas besoin de la surligner : nous travaillons donc dans une certaine lenteur.

Lars Norén aime prendre le temps ; il crée un théâtre d’images et de sensations. Il nous propose de faire quelque chose, et si il sent que l’image qui en résulte est juste, il l’utilise. Sinon, il peut nous proposer de faire quelque chose de radicalement différent. Ces images, loin d’être esthétiques, sont essentiellement émotionnelles. Norén est un grand directeur d’acteurs, mais aussi un musicien de l’humanité ; il compose sa musique avec des émotions.
Dans Poussière, nous sommes comme un orchestre, un choeur ; tous les instruments, toutes les voix doivent être présentes pour faire entendre la musique.

Marilyn, mon personnage, est l’instrument muet de cet orchestre. J’ai comme information qu’il souffre d’une pathologie, mais c’est à moi de trouver laquelle. Je travaille pour le moment sur une forme d’autisme. J’ai aussi la fonction dans la pièce d’accompagner les autres personnages âgés dans leur passage de la vie à la mort. Il me faut trouver ma « voix », mes gestes dans ce choeur sans perturber la partition d’ensemble.

Lars Norén a un sens extraordinairement développé de l’observation. Il demande de ne surtout pas « jouer » la vieillesse. Il nous interroge sur la mort, sur la façon dont les comédiens se projettent vieux, il perçoit des traits des corps vieillissants et il les prolonge ; c’est comme s’il parvenait à imaginer les futures personnes âgées qu’ils seront. C’est très beau. Ce qu’il perçoit nous échappe en partie, mais nous permet de construire nos personnages, car nos corps enregistrent ce qu’il nous révèle de ses perceptions.

Au fond, ce que Norén nous demande, c’est de ne pas « faire », mais « d’être juste là ». Il nous apprend à sentir notre présence sur scène, au milieu des autres, et à faire confiance au poids de cette présence. Nous n’avons pas à avoir peur de ne pas exister – c’est souvent notre hantise, à nous autres comédiens, à qui l’on demande sans cesse de « faire » : ici, nous existons en étant là, chargés de notre métier et de notre histoire individuelle et artistique. Ainsi, le public voit le choeur et chacune des personnalités qui le compose ; il a le temps de s’attacher à chaque personnage, et chaque acteur derrière le personnage. Nos gestes, comme toujours dans le travail de Norén, sont minimalistes, si bien que chacun d’entre eux devient un élément de narration puissant.

Nous sommes obligés, dans Poussière, d’ être vraiment à l’écoute les uns des autres. Lars Norén nous demande d’ouvrir la porte de notre propre histoire, et de la laisser ouverte. D’avoir et de faire confiance, car c’est là le moyen de toucher à notre humanité commune (la nôtre et celle du public). Ce double processus n’ est pas facile, il faut savoir l’accepter. Lars Norén nous y aide.

Nous préparons avec lui une cérémonie théâtrale.

Christian Gonon - F

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Mon personnage s’appelle F.
Nous sommes tous des lettres, sauf Françoise Gillard qui a un prénom mais qui ne parlera pas.
Peut-être sommes nous les lettres dispersées d’un seul nom, une seule personne éclatée sur le plateau en dix voix.
La voix d’une seule vie en train de s’éteindre en une multitude de résonnances.
Une sorte de Simul et Singulis de la fin de vie !
Nous sommes au début des répétitions.
Je ne sais pas encore qui je suis, quelle a été ma vie.
J’ai des intuitions.
Je me raccroche au texte.
Des répliquent qui m’ouvriraient des chemins.
- Une belle mort cela me suffit.
- Il ne faut jamais abandonner.
- Mon père s’est pendu à une poutre du deuxième étage.
- J’aurais du être médecin mais quelque chose m’en a empêché.
- Qu’est-ce que je vois dans vos yeux ?... Je crois que je vois le petit chien de Dieu, il a envie de tendresse.
- Oui, je ne sais pas.
J ’écoute Lars Norén nous regarder.
J’ai trouvé un texte de lui qui résume parfaitement nos premiers jours de travail, un condensé de ce que je ressens à ce moment des répétitions.
« Hier, j’ai encore dit à mes acteurs que pour moi, il n’y avait rien de plus beau qu’un acteur dans un espace vide.
Et c’est ce que je cherche : un être humain nu dans une situation essentielle. Écrire sur l’essence des choses. Ce sont de grandes questions, la vie, la mort, les souvenirs, le temps. »
Quand on est avec Lars Norén en répétition j’ai le sentiment que nous faisons un peu plus que du théâtre.

Danièle Lebrun - E

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Dans Poussière, j’ai la sensation d'être un personnage peu sympathique, qui surveille les autres. Des vieux, très vieux, qui baignent dans une ambiance de mort, qui peuvent être hargneux les uns avec les autres, ce qui rend le texte parfois drôle… L’ écriture de Norén, qui construit son texte comme une série de variations sur un thème, qui distille les répliques entre ses dix personnages sans qu’ils ne s’adressent vraiment les uns aux autres, rend la tâche de l’acteur complexe, mais le défi est passionnant à relever. Le décor de la pièce m’impressionne par sa beauté et j’ai une grande confiance dans le travail de Lars Norén. Il cherche, pour l’instant, à savoir quel est notre rapport à la mort.
Personnellement, la mort des gens de ma génération, ou de gens plus âgés, ne m’émeut pas. Elle n ’est pas «dramatique». On sait depuis la nuit des temps qu’au terme de la vie, il y a la mort. C’est dans l’ ordre des choses, les animaux même le savent. Ce qui me scandalise, ce qui est horrible, insupportable, c’ est la mort d’ êtres jeunes. Quand cette pensée traverse mon esprit, j’ai l’impression d’être Le cri d’Edvard Munch.

Didier Sandre - J

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Bribes
« Poussière », palimpseste de la réplique qui clôt La Cerisaie, comme le couvercle d’un cercueil qu’on referme : « La vie, elle a passé, c’ est comme si on n’avait pas vécu. » Me viennent aussi « Poussière tu retourneras à la poussière » de la Genèse, ce titre de Marguerite Duras La Maladie de la mort et ce verset de Jacques Brel « Mourir cela n’est rien, mais vieillir…»
Nous sommes dix salle Fersen, les plus âgés de la troupe pour la plupart, A B C D E F G H I J, qui pourraient être 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10. Plus un enfant qui n’est plus un enfant. Marilyn. Fille qui peut être garçon. Les vies se sont rétrécies autour d’une mort annoncée. La terreur de l’autre est adoucie par des propos sibyllins sur le temps qu’il fait, les heures du jour, celles de la nuit.
Le chaud le froid. Le manger. Le sommeil.
Lars Norén a écrit les mots d’une ultime villégiature en bord de mer.
Les bouches diront les mots, les corps seront les phrases de sa chorégraphie, comme un dessin sur le sable que recouvre la mer.
Douleur du souvenir. Deuils. Abandons. Hantise des ratages, de la dissolution de tout en rien.
Un chien galeux au regard prégnant de détresse avant de mourir. Humain trop humain.
À nouveau Tchekhov, la réplique du vieux serviteur : « La vie, elle a passé, c’est comme si on n’avait pas vécu. »

Recueillies par Laurent Muhleisen, conseillé littéraire de la Comédie-Française

Article publié le 26 avril 2018
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